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Les changements climatiques sont-ils la cause de notre hiver difficile à Montréal ?

(Photo de couverture: Radio-Canada / Simon-Marc Charron; This post is also available in English)

Une version de ce billet a été publiée par MétéoMédia, le 29 mars 2019.

Cet hiver a été difficile à Montréal. Plusieurs tempêtes de pluie suivies d’un gel rapide ont créé des trottoirs ressemblant à des glaciers. Plusieurs se demandent si cela pourrait être la nouvelle norme. En novembre, j’ai écrit un billet dans lequel j’ai décrit comment le début du temps «hivernal» (neige, froid glacial) était de plus en plus tard au cours des 50 dernières années, la saison d’hiver étant de plus en plus courte. Ici, j’examinerai une série de variables climatiques pour montrer comment nos hivers ont déjà changé avec le réchauffement planétaire et comment l’hiver de cette année s’intègre dans ces changements.

Météo ou climat ?

La première chose qui vient en tête quand on entend parler du réchauffement climatique c’est que les hivers se réchaufferont tout simplement. Cela sonne bien, n’est-ce pas? Nous devons d’abord garder à l’esprit la différence entre météo et climat. Lorsque j’ai récemment parlé à la Montreal Gazette de la façon dont les hivers sont en train de changer, j’ai reçu un courriel d’un lecteur qui me demandais si je vivais dans la même ville que lui, car nous avons eu beaucoup de neige cet hiver et avons eu un des novembres les plus froids jamais enregistré à Montréal ! Alors, qu’en est-il du réchauffement climatique?

Rappelez-vous que la météo, c’est ce que nous observons au cours d’un mois, d’une semaine ou d’un jour donné. Le climat est la moyenne de tous ces mois / semaines / jours sur une certaine période (généralement au moins 30 ans). Nous aurons toujours des journées très froides et des journées très chaudes, mais à mesure que le climat change, ce qui constitue «très chaud» et «très froid» est en train de changer. Un signe du réchauffement climatique est le fait qu’il y a eu beaucoup plus de records de chaleur brisés dernièrement que de records de froid. Et notre «froid extrême» devient de moins en moins extrême. Par exemple, dans les années 1980, on observait des -30 °C à Montréal au moins une fois tous les deux ou trois ans. La dernière fois que nous avons atteint -30 °C (à l’aéroport Trudeau), c’était en 1994!

Certaines recherches suggèrent également que les changements climatiques vont simplement conduire à davantage d’extrêmes et de variabilité, ce qui signifie que nous pourrions voir à la fois plus de froid extrême et de chaleur extrême. Mais encore une fois, notre perception de ce qui constitue du froid «extrême» s’atténue à mesure que le climat se réchauffe.

Les données

Lorsque les météorologues et les climatologues examinent l’hiver, nous avons tendance à nous concentrer sur les mois de décembre, janvier et février («D-J-F»). Même si les mois de novembre et mars sont plutôt hivernaux à Montréal, je me concentrerai sur les données de ces trois mois ici. Quand je vais parler d’hiver, je veux simplement dire la période du 1er décembre au 28/29 février.

La station météorologique officielle à Montréal se trouve à l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau, situé à environ 15 km à l’ouest du centre-ville, dans la banlieue de Dorval (station CYUL). Les données de cette station remontent à 1941. Lorsque je vais montrer des données de CYUL, j’utiliserai des lignes et triangles bleus. Pour des données à plus long terme, il y a aussi une station qui a été située a divers endroits dans le centre-ville près du campus de l’Université McGill avec des données depuis les années 1870. Cette station a d’abord été située sur le terrain inférieur du campus de McGill jusqu’en 1994, au moment où elle a été déplacée sur le réservoir McTavish. Les données de ces stations du centre-ville sont affichées en lignes/cercles rouges. Je vais également tracer la tendance linéaire du début de la période de données jusqu’aux données les plus récentes pour chaque station, avec la couleur correspondante.

Si vous souhaitez avoir plus de détails sur les données et la méthodologie, cliquez ici pour accéder à la section située à la toute fin du billet. Vous y trouverez également un lien vers le code et l’ensemble de données utilisés ici.

Températures

Alors, les hivers se réchauffent-ils? La réponse courte est oui. La température moyenne hivernale à la station du centre-ville est passée de -9°C en 1900 à -6 °C aujourd’hui, et celle de l’aéroport de Dorval, de -9 °C au cours des années 1940 à -7 °C aujourd’hui. Notez que, même si l’aéroport à Dorval (où l’effet de l’îlot de chaleur urbain est moins intense) observe des conditions plus froides qu’au centre-ville, la tendance est à peu près identique pour les deux:

Il peut être difficile de comprendre l’importance des changements de la température moyenne. Une autre façon de voir ce réchauffement est en regardant, notamment, le pourcentage des journées où la température reste au-dessus de 0 °C toute la journée. Ces jours peuvent être considérés comme des périodes de dégel, où la neige (s’il y en a au sol) pourrait fondre et on pourrait s’attendre à ce que de la pluie tombe au lieu de la neige:

On voit que la fréquence des journées où la température reste au-dessus de 0°C est en croissance ces dernières années. De 1880 à 1940, cette situation était très rare, avec seulement 4 % des jours de D-J-F. Cela a doublé pour atteindre plus de 8 % des jours en moyenne, et il est maintenant assez courant que 1 à 2 journées d’hiver sur 10 restent au-dessus de zéro.

Ce réchauffement peut paraître agréable, mais il vient avec des défis. Les patinoires extérieures par exemple, composante majeure de nos parcs en hiver, deviennent plus difficiles à entretenir. Cette augmentation du nombre de jours au-dessus de 0 °C entraîne des saisons de patinoires de plus en plus courtes, comme discuté dans un article scientifique de 2012 rédigé par plusieurs chercheurs basés à Montréal. Pour garder ces patinoires ouvertes plus longtemps, la ville est obligée d’investir dans des systèmes de réfrigération très coûteux.

Nous pouvons également regarder la diminution des journées froides. Oui, ce mois de novembre a été parmi les mois de novembre les plus froids à Montréal des dernières décennies. Mais si nous regardons, par exemple, le pourcentage de journées d’hiver avec des températures minimales de moins de -15 °C, nous pouvons voir le réchauffement assez clairement:

À la fin du 19e siècle, environ 40% des journées d’hiver avaient des températures minimales inférieures à -15 ° C à la station du centre-ville. Cela a été réduit de moitié à environ 20% des journées ! Une tendance similaire apparaît lorsque l’on observe les données à -10 ° C ou -20 ° C au lieu de -15.

Précipitations

L’augmentation des précipitations est l’un des signaux les plus clairs des changements climatiques. Les températures plus chaudes font en sorte que plus d’humidité est «disponible» pour la formation de précipitations. En hiver, la grande question qui se pose est de savoir quelle forme prennent les précipitations: neige, pluie ou pluie verglaçante.

Neige

Tout d’abord, il ne faut pas oublier qu’il est difficile de mesurer les quantités de neige avec précision, en raison notamment des effets du vent et du compactage de la neige mouillée. Cependant, la tendance est assez claire ici (notez qu’ici, nous examinons les quantités de neige de l’année complète, pas seulement de D-J-F). Entre 1880 à 1920, 300 cm de neige sont tombés par année en moyenne à Montréal. De 1980 à 2018, il n’est tombé que 203 cm par année en moyenne, soit une diminution de plus de 30% !

Nous pouvons aussi regarder les changements dans le nombre d’épisodes de neige en regardant simplement, par exemple, le nombre de jours où au moins 5 cm de neige sont tombés:

Ces changements sont frappants: vers 1900, il y avait environ 20 jours par an où au moins 5 cm de neige étaient tombés. Nous n’en observons maintenant que la moitié, soit environ 10 jours.

La diminution des chutes de neige aura de nombreuses conséquences, notamment pour l’industrie du ski. De plus, la neige joue un rôle important dans les températures hivernales. Pendant la journée, la neige réfléchit une grande partie du rayonnement solaire, et une partie de l’énergie solaire est également utilisée pour faire fondre la neige au lieu de réchauffer l’air. Un secteur recouvert de neige aura donc tendance à être plus froid qu’une zone sans neige. La nuit, la neige libère rapidement toute la chaleur accumulée pendant la journée. Une zone couverte de neige sera donc plus froide la nuit qu’une zone sans neige. Cela crée une boucle de rétroaction – à mesure que les températures se réchauffent, les chutes de neige et la couverture de neige diminuent… entraînant un réchauffement encore plus important des températures.

Pluie

La quantité de neige diminue alors que les hivers se réchauffent. Mais les précipitations ne sont-elles pas censées augmenter avec les changements climatiques ? N’oublions pas que la neige n’est pas le seul type de précipitation observé en hiver. À Montréal, nous avons connu un hiver très pluvieux cette année, avec 150 mm de décembre à février et 6 jours avec au moins 10 mm de pluie (dont 35 mm le 21 décembre). Est-ce attribuable aux changements climatiques ou s’agit t-il d’une anomalie ? Malheureusement, il semble que ces hivers pluvieux sont en train de devenir la norme:

Alors que la station du centre-ville a connu quelques hivers très pluvieux en 1890 et 1900 (en grande partie à cause d’une ou deux très grosses tempêtes de pluie), 76 mm de pluie sont tombés en moyenne de décembre à février de 1880 à 1940. Nous n’avons pas d’observations de précipitations à la station du centre-ville depuis qu’elle a été transférée au réservoir McTavish en 1994. Nous allons donc nous concentrer sur les données de CYUL. En connectant les points, on voit facilement la tendance:

À l’aéroport, 71 mm de pluie sont tombés en moyenne de l’hiver de 1942 (le premier hiver avec données) à l’hiver de 1980, soit une quantité comparable à celle observée au centre-ville auparavant. La moyenne des hivers depuis 2000 est de 100 mm, soit une augmentation de 40 % ! Les 150 mm de pluie observée cet hiver n’étaient qu’à 1 mm de battre le record à CYUL, établi il y a seulement 3 ans en 2016.

En hiver, les grosses tempêtes de pluie sont souvent suivies de masses d’air très froides. Par conséquent, la pluie, et toute la neige qui a fondu pendant qu’il pleuvait, gèlent rapidement. Nous avons constaté les problèmes que cela pose cet hiver. Par exemple, 18 mm de pluie sont tombés le 24 janvier, et la température est ensuite tombée à -12 ° C le lendemain matin. Toute cette pluie et neige fondues ont regelés rapidement en seulement quelques heures.

Comme vous pouvez l’imaginer, il est extrêmement difficile d’empêcher ce gel rapide, et les trottoirs se recouvrent rapidement de glace. Pour la période du 21 décembre au 20 mars, le nombre d’appels 911 pour les personnes tombant sur la glace à Montréal / Laval a augmenté de près de 70% cette année, passant d’environ 750 les trois années précédentes à 1262. Avec cette augmentation des pluies hivernales, les villes devront se concentrer de plus en plus sur le drainage de l’eau et le déglaçage plutôt que sur le déneigement.

Alors pourquoi la quantité de pluie hivernale augmentent-elle ? Une des raisons est simplement que nos hivers sont maintenant plus chauds, comme nous l’avons vu ci-dessus. Presque toutes les précipitations hivernales à Montréal se forment en neige à plusieurs kilomètres du sol. Étant donné que les températures près du sol sont plus souvent supérieures à 0 °C, la neige se transforme en pluie avant d’atteindre le sol. Cela signifie, malheureusement, moins de neige et plus de pluie.

Conclusions et ressources additionnelles

Pouvons-nous donc imputer le réchauffement climatique à notre hiver difficile cette année ? Les températures de cet hiver étaient globalement proches de la moyenne de ces dernières années. La température moyenne D-J-F à la station du centre-ville était de -7,4 ° C cette année, par rapport à une moyenne de -6,6 ° C pour la période 1981-2010. Notez que la moyenne 1901-1930 était de -8,9 ° C. Ainsi, bien que cet hiver ait été légèrement plus froid que la normale récente, la normale elle-même s’est considérablement réchauffée (et c’est justement ça – le climat se réchauffe).

Cependant, l’aspect le plus marquant de cet hiver est le fait que nous ayons observé la deuxième plus grande quantité de pluie hivernale jamais enregistrée à CYUL. L’augmentation des pluies en hiver est compatible avec le changement climatique et, malheureusement, nous aurons probablement à faire face à des hivers plus pluvieux (et donc à des trottoirs glacés plutôt qu’enneigés) à l’avenir.

Radio-Canada a récemment préparé une bonne visualisation de données sur la diminution de la neige au Québec et au Canada, axée sur l’observation de l’épaisseur de la neige (plutôt que sur les chutes de neige annuelles). Pour plus d’informations sur les effets actuels et futurs des changements climatiques sur le Québec, consultez le rapport Synthèse 2015 d’Ouranos.

Plus de détails sur les données et les méthodes

Les données proviennent d’Environnement et Changement climatique Canada aux stations suivantes:

  • Aéroport international Pierre-Elliot-Trudeau de Montréal
    • Situé à Dorval, avec des données depuis 1941
  • Montréal – Centre-ville
    • Les données étiquetées «Centre-ville» sont une combinaison de plusieurs stations qui ont été localisées sur / près du campus de l’Université McGill.
    • À partir de 1863, les observations ont été prises à l’observatoire de McGill, situé sur le site de l’actuel bâtiment Leacock.
    • En 1963, l’observatoire fut démoli pour la construction de Leacock. La station a ensuite été déplacée à plusieurs endroits du campus inférieur de McGill jusqu’en 1993.
    • En 1994, une station météorologique a été installée sur le réservoir McTavish, à environ 20 mètres plus haut en altitude qu’auparavant. Notez que l’altitude plus élevée de la station McTavish, en plus de son environnement légèrement moins urbain, signifie qu’elle a tendance à observer des températures légèrement plus froides que lorsque la station était située sur le campus inférieur.

Il y a plusieurs années pour lesquelles les observations sont manquantes. Pour éviter de fausser nos statistiques, nous excluons tous les hivers (périodes de décembre, janvier et février) avec moins de 10 jours sans observations de température. Cela nous donne 141 «bons» hivers aux sites du centre-ville / McGill et 74 à CYUL.

Si vous voulez examiner davantage ces données, j’ai mis les ensembles de données ainsi qu’un Jupyter Notebook sur mon site GitHub.

  1. Bonjour Monsieur McCray,
    Bon document intéressant afin de mieux comprendre, à l’aide de chiffres et tableaux, ce « dérèglement » auquel nous faisons face. Je lis votre document et il pleut à plein ciel entrecoupé de verglas en cette fin mars.
    Continuez vos recherches et travail, celui-ci est passionnant.

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